Dans le contexte actuel de transition énergétique, le secteur immobilier est mis à rude épreuve. En ce début d’année 2024, un point vient cristalliser les tensions, autant des professionnels de l’immobilier que des propriétaires et locataires : le DPE. A 1 an de l’interdiction de location des logements classés G, au 1er janvier 2025, le DPE n’a jamais été aussi contesté. Entre l’ambition des politiques énergétiques et la réalité du terrain, dépeignons un portrait précis et détaillé de la situation actuelle.
Le constat : un parc immobilier insuffisamment énergétiquement performant
Il est indéniable que nous vivons une époque de mutations. Face à l’urgence du réchauffement climatique, la transition énergétique s’impose comme une nécessité incontournable. Le secteur immobilier, qui représente une part significative des émissions de gaz à effet de serre, est directement concerné par ces enjeux. Le chauffage résidentiel reste la part la plus polluante du parc locatif, qui représente à lui seul 78% des émissions des logements.
L’enjeu est donc de remplacer les chauffages polluants (énergies fossiles) par des chauffages performants et peu émetteurs de CO2 (énergies renouvelables), tout en diminuant la consommation globale de chauffage avec une isolation performante. Cependant, l’opération est loin d’être simple et suscite de nombreux débats entre professionnels du secteur, décideurs politiques et citoyens.
Selon les chiffres, environ 80% du parc immobilier locatif privé français serait considéré comme insuffisamment performant sur le plan énergétique, se situant dans les classes E, F et G. Un constat alarmant qui soulève de nombreuses questions quant à l’avenir de ces logements et aux moyens de leur rénovation.
Le DPE : un outil controversé
Le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), nouvel outil censé évaluer la performance énergétique des logements et orienter les travaux de rénovation, n’est pas exempt de critiques. Mise en place précipitée, manque de formation des professionnels, pondération inadaptée aux petites surfaces… Les griefs émis par les experts du secteur sont nombreux.
En janvier 2023, une étude publiée par un acteur privé de la rénovation énergétique (hellowatt) avait fait grand bruit, et était remonté jusqu’au sommet de l’état. L’étude, sérieuse, montrait que sur un panel de 200 logements, 71% des notes du DPE étaient incorrectes par rapport à la consommation réelle du logement (en kWh/m2.an), avec des différences allant parfois jusqu’à 2 ou 3 lettres.
L’association 60 millions de consommateurs avait enfoncé le clou, en montrant que 5 diagnostiqueurs sur un même bien ne produisait pas le même résultat, avec là encore, des différences allant parfois jusqu’à 3 lettres.
Quand on sait qu’ un bien classé F ou G peut avoir une décoté pouvant atteindre jusqu’à 19% par rapport à un bien classé D (étude des Notaires de France), ce sont des erreurs qui coutent chers. Mais surtout, cela vient entacher une fois de plus la confiance que se font les français de ces diagnostics de performance énergétique, et plus globalement, des pouvoirs publics qui ont mis ces réformes contraignantes en place.
Certains pointent également les conséquences néfastes de la nouvelle réglementation sur les logements de classe G, qui devraient sortir de la location à partir du 1er janvier 2025. Une mesure qui risque de pénaliser les populations les plus précaires, déjà en difficulté pour se loger.
La question des moyens : artisans et financements
Au-delà de ces problématiques, c’est la question des moyens mis à disposition pour mener à bien cette transition qui fait l’objet de vifs débats. En effet, si l’ambition énergétique est claire, sa mise en œuvre concrète est semée d’embûches.
Le secteur artisanal, essentiel pour effectuer les travaux de rénovation, manque cruellement de main d’œuvre. Seuls 15 à 20% des professionnels disposeraient du label RGE (Reconnu Garant de l’Environnement), nécessaire pour effectuer des travaux de rénovation énergétique.
Du côté des financements, les aides proposées sont jugées insuffisantes par de nombreux acteurs. Le « reste à charge », c’est-à-dire la part des travaux non couverte par les subventions, est souvent trop élevé pour que les ménages puissent se lancer dans une rénovation. D’après une étude publiée par un acteur privée de la rénovation énergétique (Heero), le reste à charge moyen d’une pompe à chaleur en 2024 est de 8 600 €. C’est encore beaucoup trop, quand on sait d’autant plus que les aides de l’état comme MaPrimeRénov’ sont principalement à destination des ménages précaires ou modestes. De plus, les conditions d’octroi de la prime « MaPrimeRénov » excluent de nombreux ménages, notamment les foyers dits « intermédiaires » (la classe moyenne), alors même qu’ils possèdent une part importante du parc immobilier.
Vers une approche plus pédagogique ?
Face à ces difficultés, certains appellent à une approche plus pédagogique de la transition énergétique. L’idée serait d’accompagner davantage les propriétaires dans la compréhension de la valeur énergétique de leur bien et des gains potentiels d’une rénovation.
En cela, l’audit énergétique, qui doit être réalisé pour les biens ayant une faible performance énergétique à la vente, est perçu comme un outil plus efficace pour orienter les travaux. Pourtant, il est encore trop cher : le prix moyen d’un audit énergétique est compris entre 800 et 1500 €. Tout le monde ne peut pas se le permettre. Il permettrait pourtant aux professionnels de l’immobilier d’accompagner leurs clients vers une meilleure prise en compte de la performance énergétique dans la valorisation de leur bien.
Les professionnels attendent notamment une simplification du diagnostic de performance énergétique, associé à une meilleure formation des diagnostiqueurs, pour que la note de DPE attribuée soit au plus proche de la consommation réelle du logement.
L’équilibre entre l’ambition carbone et la réalité du marché
La transition énergétique du parc immobilier français est un enjeu majeur de notre époque. Si l’ambition est louable, sa mise en œuvre concrète est loin d’être évidente. Entre les difficultés techniques, le manque de moyens et les conséquences sociales potentielles, le chemin vers un parc immobilier énergétiquement performant est semé d’embûches.
Il est nécessaire de prendre en compte ces réalités de terrain pour adapter les politiques énergétiques et proposer des solutions pragmatiques et équitables. La transition énergétique est une responsabilité collective qui nécessite la mobilisation et l’engagement de tous les acteurs de la société.
Il est donc impératif d’adopter une approche plus pédagogique et inclusive, afin d’accompagner tous les ménages dans cette transition, sans oublier les populations les plus précaires. Car après tout, la transition énergétique ne doit pas se faire au détriment du droit au logement.